Histoire de corridors et de réseaux

Les réseaux, les connexions, sont la fabrique de la vie. Les espèces animales et végétales dépendent les unes des autres pour survivre et forment ensemble des systèmes complexes en tissant d’immenses réseaux d’échanges où s’élabore la biodiversité. Ces réseaux sont interconnectés par des voies de passage ou corridors naturels que les espèces empruntent régulièrement pour se déplacer ou se disperser vers des habitats favorables ou pour s’adapter aux changements en se répartissant différemment sur le territoire.

Aujourd’hui, les grands changements auxquels font face l’ensemble des animaux et végétaux de même que les écosystèmes sont le morcellement des territoires et l’accélération des changements climatiques, avec l’augmentation des événements extrêmes. La principale stratégie d’adaptation des espèces devant le bouleversement de leurs habitats est le déplacement vers le nord ou des latitudes plus élevées de leurs aires de répartition. C’est dire toute l’importance que les corridors de passage prennent maintenant !

Source : Insectarium de Montréal

Le grand porte-queue, le plus gros papillon d’Amérique du Nord, qui se plaisait à l’origine loin au sud de nos frontières, a été observé au Jardin botanique de Montréal dès 2012. Aujourd’hui, il n’est pas rare de le voir dans Lanaudière. Sa vitesse de migration est jugée phénoménale. Une étude sur les déplacements de quelque 800 espèces en réponse à la perturbation de leurs milieux montre en effet que les niches écologiques avancent chez nous en moyenne à une vitesse de 45 km par décennie[i].

Cependant, tout ce mouvement d’adaptation par migration se bute à plusieurs obstacles, dont le principal tient à notre modèle de développement.

 

Fragmenter ou connecter

Dans le sud du Québec, l’expansion continue des zones consacrées à l’habitation, l’exploitation forestière et aux infrastructures de transport se fait presque toujours au détriment de nos grandes forêts et des milieux humides et la fragmentation du territoire se poursuit chaque jour. Les réseaux de connexions qui, hier encore, assuraient des voies de passage aux animaux et aux plantes s’amenuisent inexorablement. Comment, dans ces conditions, les espèces peuvent-elles réussir à migrer vers le nord ?

Le milieu de la conservation a déjà répondu à cet appel et a amorcé un important travail de sensibilisation en vue de protéger les milieux naturels parmi les plus fragiles ou les plus stratégiques et conserver ou restaurer les réseaux qui les relient. Comme les parcelles d’habitats sont réduites, le degré avec lequel les fragments restants sont liés fonctionnellement est crucial. Des liens fonctionnels forts soutiennent les processus naturels fondamentaux comme les échanges et les migrations et diminuent le risque que des animaux et des végétaux se voient reclus, puis en voie d’extinction.

Pour conserver (ou restaurer) des liens fonctionnels entre les milieux, il est impératif de cesser de fragmenter le paysage et planifier l’aménagement du territoire pour y intégrer des réseaux de conservation.

Source : Bernier et Théau

Repenser l’aménagement du territoire

Les réseaux de conservation sont composés d’écosystèmes variés. Leur structure type[ii] prévoit de grands nœuds d’habitats – par exemple des boisés, des tourbières, des lacs –, reliés par des corridors et des relais, naturels ou construits, et protégés par des zones tampons. Les zones tampons sont des espaces de transition où seuls des usages du territoire compatibles avec la conservation sont autorisés.

Ce type de structure protège la « connectivité » de l’ensemble, c’est-à-dire un degré suffisant de relations et de mouvements entre les habitats pour permettre aux différents processus vitaux des espèces de s’accomplir et à la biodiversité de se maintenir.

L’effort de conservation de milieux naturels connectés par des corridors dits « écologiques » s’inscrit dans le cadre d’une initiative lancée en 2016 à l’échelle du Nord-Est du continent lors d’une conférence intergouvernementale sur la connectivité, les changements climatiques et la biodiversité[iii]. Les travaux en cours englobent plus de 70 projets au sud et à l’est de nos frontières, de même qu’au Québec où le milieu de la conservation s’est fédéré sous l’égide de l’Initiative québécoise Corridors écologiques.

Les membres de l’Initiative proposent une approche de l’aménagement du territoire qui intègre la valeur des biens et services rendus par la nature. Ils visent à rallier à cette proposition le monde municipal, les propriétaires de lots boisés et les agriculteurs.

Pour les municipalités, qui sont responsables de l’aménagement du territoire et qui disposent déjà des moyens réglementaires nécessaires pour passer à l’action, ils offrent une assistance et des outils pour reconnaitre et délimiter les milieux de grande valeur sur leur territoire et assurer leur connexion. Ils sont également en mesure de leur offrir une perspective régionale pour que les décisions à l’échelle municipale contribuent à la connectivité d’ensemble. L’influence exercée par le grand public citoyen, toujours plus sensible à la question, aide l’Initiative à évoluer rapidement.

Au chapitre des outils, l’Initiative propose aux municipalités un coffre bien rempli de mesures pour inspirer l’action sur le site Connectivité écologique[iv].

Plan de connectivité écologique de Lanaudière

Chez nous, la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière (FCEL)[v] travaille à la constitution de réseaux composés de milieux variés et de corridors écologiques pour rétablir la connectivité fonctionnelle entre la Ceinture verte de Montréal[vi] et les forêts du nord de Lanaudière, de manière à permettre le déplacement de la faune et de la flore du sud au nord du territoire.

De grands tronçons sont déjà réalisés dans le sud dont le plus remarquable est le rétablissement de la connexion entre les bois de Saint-Esprit et de Saint-Thomas/Sainte-Élisabeth et le massif boisé des tourbières de Lanoraie, lesquels abritent plusieurs espèces devenues rares.

Dans le piedmont, le Corridor de la Noire, en cours d’élaboration, permettra de relier le parc régional des Sept-Chutes, à Saint-Zénon, et celui des Chutes Monte-à-Peine-et-des-Dalles, à Saint-Jean-de-Matha, de part et d’autre de la rivière Noire, en englobant les milieux humides du lac Mondor. Près de 850 hectares sont déjà protégés dans le secteur et la collaboration des MRC et des propriétaires de forêts privées est essentielle pour compléter le travail, afin que Lanaudière puissent servir de refuge aux espèces capables de s’adapter en migrant dans notre région.

L’opossum et les autres 

L’opossum de Virginie, l’un des rares marsupiaux d’Amérique, est un petit mammifère de la taille d’un chat, à la queue préhensile et assez lent, dont les besoins sont similaires à ceux du raton-laveur. Jusqu’ici, il s’aventurait peu au nord de la frontière américaine, mais aujourd’hui, il demande à se réfugier chez nous.

Pour son odyssée hors de son habitat d’origine, l’opossum a besoin de voies de passage, tout comme un grand nombre de nos espèces locales, issues de la grande ou de la petite faune, amphibiens ou mammifères, oiseaux et plantes que nous observions peu auparavant dans Lanaudière, mais qui maintenant y cherchent de nouvelles aires de répartition. Voulons-nous devenir un réservoir de biodiversité ?

Nous ne pouvons rien contre les décisions du passé, mais nous pouvons mettre au service des décisions actuelles toutes les connaissances et tout le savoir-faire acquis ces dernières années en matière d’environnement et d’aménagement du territoire.

« La qualité de vie de l’espèce humaine ne peut s’affranchir de l’intégrité de la nature », souligne Michel Leboeuf, directeur de la FCEL.

Source : L’Encyclopédie canadienne

[i] Berteaux, D. et coll. Changements climatiques et biodiversité du Québec. Vers un nouveau patrimoine naturel, PUQ, 2014. Le site CC-Bio http://cc-bio.uqar.ca/francais/fr_atlas.html modélise la migration des espèces jusqu’en 2100.

[ii] Bernier, A. & Théau, J. (2013). Modélisation de réseaux écologiques et impacts des choix méthodologiques sur leur configuration spatiale. UQM, VertigO, 13(2).

[iii] 40e Conférence des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l’Est du Canada, https://scics.ca/fr/product-produit/resolution-40-3-resolution-concernant-la-connectivite-ecologique-l%E2%80%99adaptation-aux-changements-climatiques-et-la-conservation-de-la-biodiversite/

[iv] https://connectiviteecologique.com/municipalite

[v] https://fcelanaudiere.ca/

[vi] https://www.natureconservancy.ca/fr/nous-trouver/quebec/projets-vedettes/ceinture-verte-de-montreal/la-grande-ceinture-verte-de.html

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